Changement d'ERP, fusion-acquisition, nouvelle plateforme e-commerce... Ces projets de transformation numérique comportent tous un risque majeur que beaucoup d'entreprises sous-estiment : la dégradation de la qualité des données.
Ce risque est d'autant plus insidieux qu'il ne se manifeste pleinement qu'après la mise en production, lorsque les équipes opérationnelles se retrouvent confrontées à des informations manquantes, corrompues ou incohérentes. Les conséquences ne tardent alors pas à se faire sentir : factures perdues, stocks inexacts, communications client redondantes, reporting faussé...
L'expérience montre que les projets de migration qui échouent partagent souvent un point commun : ils ont traité la donnée comme un simple actif technique à déplacer d'un système à un autre, sans considérer sa dimension qualitative ni son impact business.
La duplication est sans doute l'erreur la plus courante lors des migrations. Elle survient lorsque les règles de dédoublonnage n'ont pas été clairement définies ou lorsque les systèmes source contiennent déjà des doublons non identifiés. La fusion de deux bases clients peut ainsi générer des profils en double, entraînant des communications redondantes qui irritent vos clients et dégradent votre image.
Plus insidieux encore sont les champs laissés vides ou partiellement remplis lors du transfert. Ces données manquantes peuvent bloquer des processus entiers : un produit sans code tarif devient invisible dans votre catalogue, un client sans adresse complète ne peut recevoir ses commandes.
Les différences techniques entre systèmes créent des décalages qui passent souvent inaperçus jusqu'à la mise en production. Un simple format de date divergent (MM/JJ/AAAA vs JJ/MM/AAAA) peut transformer le 12 janvier en 1er décembre, avec des conséquences désastreuses sur la gestion des échéances.
Les codifications métier posent également problème : une catégorie produit codée "HAB" dans l'ancien système et "VET" dans le nouveau se retrouve soit perdue, soit mal classée après migration. Ces désalignements techniques, invisibles pour les non-spécialistes, peuvent paralyser des départements entiers.
Sans un véritable "dictionnaire de données" partagé, la confusion s'installe rapidement. Ce qui s'appelait "chiffre d'affaires mensuel" dans l'ancien système peut avoir une définition légèrement différente dans le nouveau. Ces nuances de compréhension génèrent des interprétations contradictoires des mêmes indicateurs entre équipes.
Cette absence de référentiel commun rend également impossible les rapprochements automatiques fiables entre systèmes, forçant les équipes à recourir à des manipulations manuelles sujettes à erreurs et chronophages.
La dimension historique des données est souvent sacrifiée sur l'autel de la simplification. Les logs de modification, les historiques de commandes ou les chronologies d'interactions client disparaissent, rendant impossible toute analyse d'évolution ou reconstitution de parcours.
Cette perte d'histoire crée un angle mort dans votre capacité à comprendre les comportements passés et à prédire les tendances futures. Elle vous prive également d'informations cruciales en cas d'audit ou de litige.
Toute migration réussie débute par une cartographie précise de l'existant. Cette phase d'audit consiste à identifier exhaustivement vos sources de données, leurs formats et leurs interdépendances. Elle révèle également les zones à risque : champs incohérents, doublons existants ou règles métier contradictoires.
Cette étape, souvent négligée par souci d'économie ou de temps, est pourtant l'investissement le plus rentable de votre projet. En révélant les problèmes en amont, elle vous évite des correctifs d'urgence bien plus coûteux après mise en production.
Le nettoyage préalable des données source constitue une étape déterminante. Il ne s'agit pas simplement de transférer vos données, mais de les améliorer dans le processus. Corrigez les erreurs détectées, supprimez les doublons, standardisez les formats et enrichissez les informations incomplètes.
Cette phase de nettoyage représente l'occasion idéale d'assainir votre patrimoine informationnel. Un client avec trois numéros de téléphone différents dans votre base actuelle ne devrait pas conserver cette incohérence après migration.
La cartographie des correspondances entre systèmes forme le cœur technique de votre projet. Pour chaque champ source, définissez précisément comment il sera transformé et où il sera placé dans le système cible. Ces règles de transformation doivent être documentées et validées par les experts métier.
N'oubliez pas d'identifier les données sans équivalent direct, qui nécessiteront des traitements spécifiques. Comment traiter un champ "commentaire client" s'il n'existe pas dans le nouveau système ? Ces cas particuliers, négligés dans les plannings trop optimistes, sont souvent responsables des plus grands désordres post-migration.
La validation progressive sur des jeux de données pilotes constitue votre meilleure protection contre les mauvaises surprises. Sélectionnez des échantillons qui couvrent tous vos cas d'usage, y compris les plus atypiques. Transférez-les, puis vérifiez méticuleusement leur conformité.
Cette phase de test doit impliquer activement vos utilisateurs métier. Eux seuls peuvent valider que les données migrées répondent à leurs besoins opérationnels. Leur retour vous permettra d'affiner votre processus avant le déploiement complet.
La vigilance ne doit pas s'arrêter au jour du basculement. Mettez en place un monitoring continu qui vérifie la qualité et la complétude des données. Prévoyez des procédures de correction rapide pour les anomalies inévitables qui seront découvertes en production.
Établissez un circuit de validation impliquant les utilisateurs finaux, qui peuvent remonter les problèmes détectés lors de leur usage quotidien. Cette boucle de feedback continu vous permettra d'améliorer progressivement la fiabilité de votre nouveau système.
La réussite d'une migration dépend autant de facteurs humains que techniques. Centralisez le pilotage du projet sous une responsabilité unique pour éviter la dilution des décisions. Constituez un comité de gouvernance représentant toutes les parties prenantes, avec un pouvoir décisionnel clair.
L'accompagnement des équipes reste déterminant. Renforcez votre support utilisateur pendant la période critique de transition. Formez vos collaborateurs non seulement à l'utilisation du nouveau système, mais aussi à la compréhension des changements dans la structure des données. Une équipe bien préparée identifiera plus rapidement les anomalies et limitera leur propagation.
La documentation constitue enfin le patrimoine durable de votre projet. Archivez soigneusement les décisions prises, les règles de mapping et les arbitrages techniques. Ces informations seront précieuses pour comprendre certains comportements du système, mais aussi pour préparer vos futures évolutions.
Une migration bien conduite représente bien plus qu'un simple transfert technique : c'est l'opportunité de transformer votre patrimoine informationnel en véritable actif stratégique. En appliquant ces principes, vous ne vous contenterez pas d'éviter les écueils classiques - vous créerez une base solide pour votre excellence data.
La qualité des données n'est pas un luxe accessoire mais le fondement même de votre capacité à innover, à comprendre vos clients et à optimiser vos opérations. Dans un monde où la donnée devient le carburant de l'intelligence artificielle et de l'automatisation, cette excellence informationnelle constitue un avantage concurrentiel durable que vos concurrents moins rigoureux ne pourront égaler.